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c.         Les rapports de la psychanalyse à la criminologie

 

Si les débuts de la psychanalyse en matière de crime semblent quelque peu piétiner dans le domaine, nous voyons dès 1913, Sándor Ferenczi (18731933), un des premiers psychanalystes, s’intéresser à l’ «importance de la psychanalyse dans la justice et dans la société » (texte paru dans  Psychanalyse 2, Œuvres complètes- Tome II : 1913-1919).

Par ailleurs et dès 1919, S. Ferenczi invitent ceux qui plaident pour un déterminisme strict en matière de crime à se rendre compte que leur projet scientifique ne se réalisera pas s’ils ne prennent pas au sérieux les déterminations les plus puissantes parmi les ressorts psychiques du crime, à savoir les tendances de la vie inconsciente.

 

Karl Abraham (1877-1925), médecin et psychanalyste allemand. C'est l'un des pionniers de la psychanalyse et en 1924 dans son ouvrage « Essai d'une histoire du développement de la libido sur le fondement de la psychanalyse des perturbations psychiques », K. Abraham spécifie les phases du développement libidinal et précise que le psychisme se cristallise d’abord sur des objets partiels (le sein par exemple) avant de parvenir à la position de l’objet total. Dans le cas de psychose, elle serait une régression de la libido à son stade le plus primitif c’est-à-dire au stade oral ou cannibalique, le sein étant par exemple alors considéré comme objet total à la fois persécuteur ou gratifiant.

 

Ceci posé, S. Ferenczi comme K. Abraham souligneront l’importance de la psychanalyse dans la justice et la société et préconiseront un traitement psychanalytique des criminels

Sigmund Freud (1856 -1939), médecin neurologue et psychiatre autrichien, fondateur de la psychanalyse, dira, dans plusieurs de ses textes et ce sur plus de 40 ans (lettre à Fliess en 1897, ou celle adressée à Einstein, ou encore dans ses écrits tels Totem et Tabou, Malaise dans la civilisation, Moïse et le Monothéisme), que seule la fonction de la culture peut œuvrer dans la réduction et surtout la réorientation de la violence naturelle, et au-delà au renoncement des pulsions incestueuses.

Dans les années 20, S. Freud oppose de vraies « résistances » face aux aspects psychologiques de la violence, résistances que d’ailleurs il reconnaîtra, expliquées notamment par son propre comportement violent. Pour autant, dès 1897, dans la lettre qu’il adresse à Fliess, S. Freud évoque déjà l’influence des impulsions hostiles à l’égard des parents dans l’apparition des névroses, de la paranoïa, de la mélancolie et parlait des « souhaits de mort chez des fils à l’égard de leur père et des filles à l’égard de leur mère ». Bien que ne citant pas la criminalité, S. Freud posera deux crimes au fondement de l'humanité, le parricide et l'union incestueuse avec la mère, et leur interdit à l'articulation de la nature et de la culture. 

En 1930, S. Freud se rend à l’évidence et dit « ne plus pouvoir ignorer ou négliger l’ubiquité de la violence et de la destruction ». Il écrira d’ailleurs, au soir de sa vie, à Marie Bonaparte qu’il doit tenter de répondre à la question de l’agression  précisant que « ce sujet n’a pas encore été considéré avec soin et ce que j’ai pu en dire dans des écrits antérieurs de façon si prématurée et si peu approfondie, ne mérite guère l’attention ».

Il est clair que le déchaînement des violences que connaît l’Europe pendant le 2ème tiers du XXème siècle engage Freud, comme les philosophes, à s’interroger sur ce qu’ils ont voulu ignorer et se pose alors la question de savoir « comment appréhender et intégrer dans un système rationnel une violence aussi déraisonnable, aussi inhumaine ».

S. Freud déterminera dans le mouvement vers l’objectivation scientifique de l’humain, que :

 

a)      la personnalité est le résultat d’expériences vécues, la plupart oubliées, ainsi la personnalité sera plutôt fixe et déterminée dès l’enfance ; 

b)      Système topique : ça/inconscient – moi/conscience – surmoi ;

c)      Système dynamique : pulsions, en particulier thanatos/mort – libido/vie. Instinct de défense/attaque.

d)      Système économique : la charge affective est fonction de l’investissement d’énergie dans quelque chose.

 

L’apport non négligeable de S. Freud ne s’évalue qu’à la lueur de la poursuite de son travail par ses successeurs, tel Donald Winnicott dans son approche des pulsions de destruction non pas d’origine interne comme le dit S. Freud mais comme des excitations pulsionnelles

« pouvant être aussi externes qu’un grondement de tonnerre ou une claque ». Et comme le précise Wilfrid Reid « La structure individu-environnement prend maintenant le relais de l’arc réflexe comme premier modèle de l’appareil psychique. Le point de vue de D. Winnicott sur la pulsion n’invalide pas la thèse de Freud mais appelle sa mise en tension. Cette mise en tension exigera d’entreprendre une réflexion sur les modalités d’articulation entre la polarité pulsion-objet et la polarité sujet-objet. Et l’on peut considérer que la métapsychologie de D. Winnicott trouve là sa visée essentielle : prendre acte de la nécessité de cette articulation ».

 

 

S. Freud séparait, en tant que composante de la libido la tendance sadique de la pulsion de destruction liée à la pulsion de mort, l’au-delà du principe de plaisir. Ainsi René Diatkine (1918-1998) et Serge Lebovici (1915 - 2000), tous deux psychiatres et psychanalystes, conservent cette distinction en proposant une différenciation entre agression et agressivité, cette dernière en tant que dérivée de la pulsion de mort serait opposée à l’agression qui s’élabore dans le fonctionnement du moi : « Notre thèse a consisté à opposer les deux temps de la théorie freudienne concernant l'agression. Ce qu'on appelle parfois l'agressivité comporte de ce fait bien des ambiguïtés. Nous croyons qu'il est bon finalement de comprendre comme agression ce qui est son élaboration dans le fonctionnement du Moi et comme agressivité ce qui est du destin de l'instinct de mort ».

 

Jean Bergeret (1923), médecin et psychanalyste français, dans son ouvrage sur « la violence fondamentale » en 1984, oppose la notion d’agressivité selon la conception de la théorie psychanalytique à la notion de violence fondamentale. Il avance que la violence fondamentale s'appuie « à son origine sur des mises en scène tout à fait précoces telles que : «l'autre ou soi », «lui ou moi », «survivre ou mourir », «survivre au risque de devoir tuer l'autre », sans intention nette de détruire spécifiquement cet autre ». Ainsi la « poussée instinctuelle de violence » serait, comme le précise Thierry Bokanovski dans son article sur  « Le concept de pulsion de mort » : « la résultante des fantasmes issus des modèles imaginaires maternels qui s'appuieraient sur des représentations mettant en scène une domination de l'objet par la violence, aussi bien du côté du parent que de l'enfant. Ainsi les premières formations fantasmatiques comporteraient-elles tout autant de "mises en scène" de meurtre d'enfants que de meurtre de parents, matricide et parricide confondusDans le meilleur des cas, ces formations fantasmatiques, présymboliques se structurent en fantasmes œdipiens ouvrant la voie aux élaborations génitales qui permettent l'intégration de la violence fondamentale dans une optique libidinale ou objectale; sinon, c'est un mouvement "inverse" qui se produit "et c'est la violence qui reprendrait à son compte des fragments épars de libido pour donner lieu à des élaborations imaginaires d'agressivité, de sadisme ou de masochisme".
J. Bergeret décrit la violence fondamentale comme une « violence naturelle, qui serait une sorte de nécessité primitive absolue, vitale, dès les premiers moments de l'existence, et dont le sujet ne tire aucune joie particulière » alors que l’agressivité quant à elle génère une satisfaction à voir l’autre souffrir. « La violence fondamentale serait donc du registre archaïque, prégénital, narcissique et inné ». Si cette violence se transforme grâce à l’attention et l’amour des parents en un processus créateur, la partie de cette même violence fondamentale mal intégrée peut engager à des comportements violents, dénués de connotation sexualisée génitale.

Pour J. Bergeret, « la violence fondamentale mal intégrée est le maître d'oeuvre de la construction de la structure psychotique, utilisant à son profit les éléments libidinaux épars récupérables, pour atteindre des buts devenus ainsi essentiellement agressifs, sadiques et masochistes ».

 

Notons les apports également de Mélanie Klein (1882 -1960), psychanalyste britannique, chef de file d’un mouvement psychanalytique promouvant la psychanalyse des enfants, qui abordera également les tendances criminelles des enfants et observera dans l’analyse de jeunes enfants (3 à 6 ans), la précocité de la lutte entre la partie civilisée et la partie primitive de la personnalité. Elle admettra la dualité des pulsions freudiennes : pulsions libidinales-pulsions de destruction et les fantasmes qui en découlent :

 

ü      Les fantasmes liés au bon objet (sein gratifiant) seront les représentants psychiques des pulsions libidinales

ü      Les fantasmes liés au mauvais objet (sein persécuteur) seront les représentants psychiques des pulsions de destruction.

 

Ainsi en cherchant à maintenir le sein idéal, à l’introjecter, à s’identifier à lui, l’enfant va se construire progressivement une réalité extérieure. Dans le même temps, il cherchera à se débarrasser du mauvais objet qui, en tant que représentant la pulsion de destruction, constitue une menace et une source d’angoisse, en le projetant dans ce monde dont il découvre l’extériorité. Ce rapport à l’objet, caractérisé par l’angoisse de persécution et par le clivage défensif de l’objet a été désigné par Mélanie Klein sous le nom de position persécutoire ou paranoïde-schizoïde, car elle y voit le prototype du processus retrouvé ultérieurement dans la schizophrénie et la paranoïa.

 

La princesse Marie Bonaparte (18821962), pionnière de la psychanalyse en France bien qu’elle la rejette vers la fin de sa vie lors notamment de la scission de la Société Psychanalytique où elle affronte Lacan qu’elle traite de fou et de paranoïaque. Marie Bonaparte écrira peu et ne laissera finalement que peu de traces. Ceci posé l’étude de cas qu’elle fera de Madame Lefebvre qui, depuis sa ménopause, serait en régression narcissique psychotique aux stades prégénitaux, souffrant d’un complexe de castration particulièrement développé exacerbé par la grossesse de sa bru, qui l’aurait amenée au meurtre, n’est pas sans intérêt.

Jacques Lacan (4), de son nom complet Jacques-Marie Émile Lacan (1901-1981), psychiatre et psychanalyste français, ne s’est guère intéressé à la criminalité au sens propre du terme. Pour autant, son œuvre démarre par l’étude d’un cas : le Cas Aimée (Marguerite Pantaine). J. Lacan rencontre pendant près d’un an cette patiente dénommée Aimée qui a tenté d’assassiner une actrice de théâtre, Huguette Duflos, en s’introduisant dans le couloir de l’entrée des artistes. Huguette Duflos put se défendre et Marguerite Pantaine fut incarcérée à la prison pour femmes de St Lazare où elle sombra, pendant près de 20 jours, dans un profond délire. On la transféra à l’Hôpital Sainte-Anne où le diagnostic porta sur un délire de persécution, délire interprétatif avec tendances mégalomaniaques et substratum érotomaniaque. J. Lacan portera un intérêt particulier à cette patiente, cas qui lui permettra d’illustrer progressivement son approche de la paranoïa qu’il peaufinera par la suite à travers le crime abominable des Sœurs Papin dont il rédigera en 1933 un article dont copie en annexe. Puis J. Lacan développera le fameux « Stade du Miroir » que tout le monde admet, et apportera d’importantes contributions sur l’agressivité lors de la Conférence à Bruxelles en mai 1948 au 11ème Congrès des psychanalystes de langue française, et sur la criminologie en 1950 avec notamment son article sur les « Fonctions de la psychanalyse en criminologie » où, par cet état des lieux, J. Lacan établit un point de connexion entre psychanalyse et criminologie.

Quelques points à relever dans ce texte :

Ø      La place de la vérité en tant que différente pour la psychanalyse et pour le criminologue. J. Lacan dira en Janvier 1977 lors de l’ouverture de la section clinique que « La vérité n’est pas sans rapport avec ce que j’ai appelé le réel, mais c’est un rapport lâche ». La vérité, visée par le langage, est dans l’ordre symbolique, elle est de l’ordre du dire, de l’ordre du discours, de l’ordre du mi dire, ainsi dans le cheminement lacanien, la vérité et le réel se trouvent dans un rapport d’opposition : à la vérité revient la valeur de mobilité, d’incertitude, d’insaisissabilité, de fuite ; au réel s’attachent la fixité, l’inévitabilité, l’incontournable. Ces deux types de rapports entre la vérité et le réel – rapports de similarité et d’opposition – permettent peut-être d’appréhender et de nuancer plus d’un point de vue en matière de clinique analytique.

Ø      La psychanalyse irréalise le crime mais ne déshumanise pas le criminel. En effet la psychanalyse en proposant une lecture nouvelle du crime, le rend moins réel au sens de réalité commune. Sa lecture en est symbolique. Ceci n’exemptant pas, bien entendu, le criminel de son crime.

La psychanalyse est une discipline qui repose sur l’élaboration à travers la parole, c’est donc une élaboration vivante et comme le précise Guy Rosolato dans son texte sur « la formation du symbole », elle consiste essentiellement « dans la mise en évidence de la signification inconsciente des paroles, des actions, des productions imaginaires (rêves, fantasmes, délires) d'un sujet » et se spécifie selon J. Laplanche et J.B. Pontalis « par l'interprétation contrôlée de la résistance, du transfert et du désir ».

Ce n’est donc que par la parole que cela peut advenir et toute la finesse de l’analyse portera sur la signification que les conflits psychiques et les processus prennent pour le sujet analysant.

Dans le cas des criminels, il y a donc une grande différence entre la psychiatrie qui pose un cadre diagnostique en interprétant l’acte pour l’autre et en lui attribuant une médication et la psychanalyse qui comme le précise Pierre Legendre « laisse à la parole du criminel en tant que sujet ce pouvoir thérapeutique ».

Pour en revenir à Jacques Lacan, il nous précise dans « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie » que « Nul ne le sait mieux que le psychanalyste, qui dans l’intelligence de ce que lui confie son sujet comme dans la manœuvre des comportements conditionnés par la technique, agit par une révélation dont la vérité conditionne l’efficace » précisant par ailleurs que « la recherche de la vérité n’est-elle pas d’autre part ce qui fait l’objet de la criminologie dans l’ordre des choses judiciaires, et aussi ce qui unifie ses deux faces : vérité du crime dans sa face policière, vérité du criminel dans sa face anthropologique ».

 

Petit rappel des topiques de S. Freud et des 3 instances de la personnalité (Dictionnaire international de Psychanalyse)

Le Ça (Es) est l’instance psychique dévolue aux pulsions et à la plupart des processus inconscients selon la seconde topique de Freud.  Après Freud cette dimension des pulsions sera occultée, le Ça n’aura pas de raison d’être. L’inconscient structuré comme un langage de Lacan ne laisse pas place au Ça  alors que Mélanie Klein maintient la priorité des pulsions soulignant agression et pulsions de mort. Les psychanalystes non lacaniens continuent, quant à eux, de travailler le Ça.

Le Moi (Isch) utilisé à l’origine par Freud comme un synonyme de la personne consciente. Plus tard, Freud réservera ce terme à une partie de la personnalité psychique. Toutefois, le mot Isch est demeuré ambigu et sa traduction a parfois posé problème notamment par l’usage du mot Ego qui fut contesté. Les premiers psychanalystes français hésitèrent entre Ego et Moi avant d’adopter cette dernière également préférée à Je.

Le Moi met en action les mécanismes de défense face à la perception d'affects déplaisants et s'exprime par le langage.

Le Surmoi est l’instance psychique qui résulte, pour l’essentiel, de l’intériorisation de l’autorité parentale. Il est le siège des interdits, de la morale, des lois. Il se constitue à partir du moi par identification de l'enfant au parent symbolique incarnant l'autorité. Il exerce les fonctions de juge. De son conflit avec les désirs du moi naissent les culpabilités conscientes ou inconscientes.

 

J. Lacan précise que « ni le crime ni le criminel ne sont des objets qui se puissent concevoir hors de leur référence sociologique » et de rajouter plus loin dans son texte que « Le crime dans sa réalité concrète se réfère au symbolisme dont les formes positives se coordonnent dans la société, mais qui s’inscrit dans les structures radicales que transmet inconsciemment le langage, ce symbolisme est aussi le premier dont l’expérience psychanalytique ait démontré par des effets pathogènes jusqu’à quelles limites jusqu’alors inconnues il retentit dans l’individu, dans sa physiologie comme dans sa conduite ».

 

 

 

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