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19 janvier 2012 4 19 /01 /janvier /2012 16:16

 

 

La maladie de la mort
de Marguerite Duras

L'amour à l'ombre de l'histoire

par Charlotte LDSH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’amour, « vous avez pu [le] vivre de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant qu’il ne soit advenu ». Ainsi Duras met-elle fin à La Maladie de la mort, à l’histoire d’un amour perdu avant d’advenir, et qui pourtant a été viable par cela même. Oui, il a été vécu, mais dans l’inviable, dans l’impossible, dans cet impensable : « Vivre un sentiment d’amour sans en vivre l’histoire ».
L’œuvre durassienne, de textes en textes, nous rapproche des limites de l’érotisme, venant les bouleverser, jusqu’à l’effacement, un point où plus rien ne semble possible, et pourtant...

Dans La Maladie de la mort, l’histoire naît d’une impasse : un homme homosexuel paie une femme pour essayer, s’essayer, « Essayer quoi ? / (…) D’aimer » (p.9). Aimer comme un remède à la maladie de la mort… Parce que chez Duras, la mort peut se vivre ; elle se vit, du manque, de l’étalement du sans amour, partout. Rien à faire, rien à donner, rien à recevoir, sauf, d’elle -une femme- cet implacable verdict : « Vous allez mourir de mort. Votre mort a déjà commencé. » (p.48).

Ainsi cet homme qui n’a jamais connu que ses semblables, qui se meurt depuis qu’il vit, s’aventure à la rencontre de l’autre : une femme, la femme, première, « trouvée partout à la fois, dans un hôtel, dans une rue, dans un train, dans un bar, dans un livre, dans un film, en vous-même, en vous, en toi » (p.9)… Ainsi s’ouvre le livre, au hasard du désir d’un homme, dans le conditionnel, l’improbabilité de lieux anonymes. « Trouvée » n’importe où… Qu’importe : une femme.

Non, ce n’est pas une prostituée, et pourtant il la paie. Parce qu’il faut un contrat, des conditions, des règles, pour que l’histoire ne les submerge pas. Ainsi la jeune femme viendra chaque jour, avec la nuit, et pour une durée précise. Elle devra se mettre nue, exposée dans la lumière, immobile, tout à la fois offerte et recluse dans son sommeil, docile et inaccessible dans son silence...
Le contrat des nuits signe ainsi le voeu d’une rencontre dont il creusera l’impossibilité. Terrés dans la chambre noire, l’homme et la femme attendent, dans l’improbabilité d’un sentiment qui ne peut surgir que du hasard, d’une erreur, « Jamais d’un vouloir » (p.52)… Alors ils attendent, dans ce lieu de théâtre où seule l’ombre de la mer rompt avec l’immobilité qui les étreint, cette « mer noire [qui] bouge à la place d’autre chose, de vous et de cette forme sombre dans le lit » (p.32).

Avec elle, l’homme prend donc le risque de l’impossible. « Vous le faites, vous prenez » (p.53). Lui aussi s’expose, et peut-être bien plus qu’elle, puisqu’il se brûle à l’altérité d’un corps, d’un sexe et d’une sexualité jusqu’alors ignorés de lui, radicalement inconnus, interdits. Vivre l’histoire, pour lui, c’est enfreindre l’interdit premier, tout à la fois celui de la femme -sexuelle et maternelle-, celui de l’hétérosexualité, et celui de l’amour. « Cela est fait » (p.53) : tout est devenu possible, mais de toutes parts l’homme se consume, se perd, dans cet horizon toujours refusé qui soudain s’ouvre, et le dérobe à lui-même.

Happé, l’homme, et la femme, disparue, avant que n’advienne l’histoire.
Celle-ci, vécue dans l’ombre d’elle-même, il la racontera pourtant, « comme s’il était possible de le faire » (p.55)… On la lui dicte, et « Vous le faites, vous prenez » (p.53). Et, nous, lecteurs, on l’entend se dérouler comme un songe, quand il n’y a encore que soi, l’homme ou la femme, face au tout possible de l’histoire.

La Maladie de la mort, Marguerite Duras la jette donc aux yeux du monde, découverte dans un livre « [réduit] (…) à sa maigreur », un livre corps à corps, un huis clos resserré entre une femme dormante et un homme en mort.
Lire, c’est alors étreindre l’impossible, et laisser que s’élève, à l’ombre d’« une histoire qui en passe par son absence », la fulgurance du pur fantasme.

 

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23 décembre 2011 5 23 /12 /décembre /2011 15:17

 

Écrire c'est tenter de savoir ce qu'on écrirait si on écrivait – on ne le sait qu'après – avant, c'est la question la plus dangereuse que l'on puisse se poser. Mais c'est la plus courante aussi. »

Marguerite Duras, Écrire

 

 

AU RISQUE DE L'ECRIT

Danièle CUILLERET Psychologue clinicienne, Psychanalyste
Montpellier

Cette journée sur l'écrit est arrivée à un moment où, après avoir travaillé en cartel le fantasme dans la littérature, puis la place de la parole, mon regard se tournait vers celle de l'écriture, de l'écrit. Ecrire, lire fait partie de notre quotidien. Quel est le rôle de l'écrit, de l'écriture? De ces mots que nous inscrivons sur le papier? Pour Lacan, "Une écriture, comme le rêve lui-même, peut être figurative, elle est toujours comme le langage, articulée symboliquement" (Les Ecrits p 47). Mais l'écrit et l'écriture ne sont-ils pas avant tout le quotidien des écrivains? Ne sont-ils pas les mieux placés pour en parler? Lacan disait de Marguerite Duras, elle "s'avère savoir sans moi ce que j'enseigne". Des auteurs et deux romans ont attiré mon attention, "Ecrire" de Marguerite Duras et "Les mots" de Jean-Paul Sartre. Je vais tenter, avec l'aide de certains écrivains, de mieux cerner la symbolique de l'écrit et de l'écriture. J'ai cherché des citations pour me soutenir un peu.

- Marguerite Duras : "Si on savait quelque chose de ce qu'on va écrire, avant de le faire, avant d'écrire, on n'écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine… L'écrit ça arrive comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit, et ça passe comme rien d'autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie".

- Jean-Paul Sartre : "dès mon premier roman, je sus qu'un enfant s'était introduit dans le palais de glace. Ecrivant, j'existais…".

- Nathalie Sarraute : "Ce que nous ressentons n'est inscrit nulle part".

- Roland Barthes : "L'écriture se développe comme un germe non comme une ligne, … elle menace d'un secret, … elle intimide".

Une trace

L'écriture c'est une trace, "un travail de grattage" pour Serge Leclaire, "Une feuille volante" pour Jacques Lacan. Bien sûr que nous posons une trace sur le papier, il suffit de voir, dans les institutions, le nombre de cahiers de liaison, notes diverses… qui circulent. Traces de l'encre sur le papier, traces "physiques"? Mais qu'en est-il de cet écrit pour celui qui écrit? "Les paroles s'envolent, les écrits restent" dit-on. Il s'agit de traces sur le papier. Pour Lacan, "les paroles restent… Mais la lettre, elle, elle s'en va. Elle se promène toute seule". La trace, la trace de nos pensées, de ce qui se dit à travers les mots?

C'est un travail de soi à soi, une "tentative de reproduire ou de représenter le texte inconscient" (Serge Leclaire). Il suffit d'ailleurs de reprendre un texte déjà écrit pour se rendre compte que de l'ouverture est encore possible, ouverture - fermeture. C'est un écrit sans fin, "le nécessaire, c'est ce qui ne cesse pas de s'écrire" Lacan.

La perte

Quand on écrit, tout n'est-il pas fonction de soi? De notre histoire? De notre réel? L'écrit nous donne l'illusion d'être dans la réalité de nos pensées. Illusion salvatrice qui vient nous cacher ce Réel inquiétant toujours prêt à surgir.

-"L'écrit vient d'ailleurs, d'une autre région que celle de la parole orale. C'est une parole d'une autre personne qui, elle, ne parle pas" Marguerite Duras.

- "La littérature, comme tout art, travaille le réel, le réel particulier des mots, et le réel du monde pris dans les mots" Leslie Kaplan.

Les cris

L'écrit, que peut-on entendre dans ce mot? L'écrit - Les cris. Qu'est ce qui peut bien crier dans l'écriture? "Ma vie écrit / est cri" dit Marguerite Duras. Me revient alors en mémoire la phrase de Marguerite Duras : "Si on savait quelque chose de ce qu'on va écrire, avant de le faire, avant d'écrire, on n'écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine… L'écrit ça arrive comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit". La phrase de Jacques Lacan prend alors sens dans mon esprit : "Une écriture, comme le rêve lui-même, peut être figurative, elle est toujours comme le langage, articulée symboliquement". Les Ecrits p 47. Bien sûr quand on écrit on crie, se crie ce que l'on est. L'écriture est, comme dit Roland Barthes, "une menace, elle menace d'un secret, elle intimide".

Le Manque - le Réel

Tout s'explique, la peur de la feuille blanche n'exprime-t-elle pas ce vide, ce manque présent en chacun d'entre nous? Ces pages écrites ne laissent-elles pas des blancs entre les lettres? Le code écrit n'est-il pas déjà en lui-même un masque? Voilà donc ce Réel, ce grand Autre que nous cachons sous un amas de sédiments appelé le refoulement.

"L'activité d'écrire se donne comme une tentative de reproduire, de re-présenter le texte inconscient ; tentative dont l'échec est toujours présent". Serge Leclaire.

"Le mot est une présence faite d'absence". Jacques Lacan.

"Le mot n'est pas signe, mais nœud de signification". Jacques Lacan.

L'écriture nous sert d'outil pour apprivoiser notre Réel, pour compenser notre Manque. Clairement visible dans la littérature, c'est celui que j'utilise aujourd'hui. Dans notre jargon de psychanalyste, cela s'appelle la sublimation ; Parfait, mais méfions-nous de l'écrit, surtout quand il concerne l'autre, notre histoire risque d'infiltrer la sienne.

Le Pas-Tout

Ecrire ce que l'on pense, ce que l'on voit, ce que l'on sent… les idées sont sur le papier - par moment, tout nous semble clair et posé mais ce n'est qu'un "travail de grattage", nous dit Serge Leclaire, "qui tente, sans y arriver, de mettre à jour "le corpus inconscient"". "Les écrits emportent au vent les traites en blanc d'une cavalerie folle", constate Lacan. L'écrit "est là, et il n'existe qu'en tant que langage, il est la feuille volante… La dette ineffaçable " (Lacan) qui ne féconde pas nos actes par ses transferts. Le plaisir, le désir d'écrire ne fait-il pas référence au désir du tout, jouissance sans cesse renouvelée face à ce tout jamais atteint?

"On n'écrit pas parce qu'on ne se parle pas, … parce que "ça ne se parle pas"La pratique de l'écriture vient prendre en charge la jouissance toute spéciale qui relèverait de ce champ du "pas-tout" s'il pouvait s'articuler d'une autre fonction que celle à laquelle précisément tous sont soumis. Or c'est justement ce que tente l'écrit". "S'excrire" de Jean Paul Gilson.

La lecture de l'écrit

Quand on écrit, on se risque car une écriture ça se lit. Leslie Kaplan, psychalyste à la prison d'Avignon, pose qu'"il y a des styles qui permettent "le saut" comme l'écrit Kafka, le saut, la séparation avec "le monde des assassins", d'autres qui répètent, ressassent, enfoncent, mortifient". Mais ces traces que nous n'arrêtons pas de mettre sur le papier sont livrées à la polysémie interprétative du lecteur. Le lecteur en lisant met de son inconscient, de sa voix. Pour Serge Hajlblum, dans "Lire et entendre Lacan", "le clivage absolu entre l'écrit et la voix n'est pas tenable. Il y a un jeu entre eux... Voilà qui renvoie bien l'écriture à un éclat : un éclat de lire... Lire, c'est aussi rendre de sa voix à l'écriture qui s'en produit... Quand le lecteur lit, à savoir quand le lecteur octroie cette qualité d'écriture, il y donne de sa voix à lui, mais certainement pas n'importe comment : il interprète… Mais c'est aussi interpréter l'interprétation de voix : de sa voix à lui, lecteur, mais aussi de la voix, bien étouffée si ce n'est de pas de réalité, dont l'auteur a voulu se soutenir et se déprendre en même temps par la lecture/écriture".

Conclusions

Ce travail sur l'écrit, d'abord posé par écrit, ce "travail de grattage" difficile, je comprends seulement aujourd'hui pourquoi il a eu tant de mal à me satisfaire. Il s'est apaisé, par le jeu du transfert, dans la communication orale. Comment en quelques mots le résumer? Je me contenterai de poser quelques citations et quelques idées :

- "L'écrit vient d'ailleurs, d'une autre région que celle de la parole orale. C'est une parole d'une autre personne qui elle ne parle pas". Marguerite Duras.

- "Le mot est déjà une présence faite d'absence" Lacan.

- "C'est un travail de grattage qui tente, sans y arriver, de mettre à jour "le corpus inconscient"" Serge Leclaire.

- "Plût au ciel que les écrits restassent, comme c'est plutôt le cas des paroles : car de celles-ci la dette ineffaçable du moins féconde nos actes par ses transferts. Les écrits emportent au vent les traites en blanc d'une cavalerie folle". Lacan

L'écrit est un cri, cri de celui qui écrit. C'est une trace toujours marquée par la perte, le manque ; l'écriture assurant en même temps une fonction d'ouverture et de fermeture. Quand l'écrit est lu, il s'agit toujours d'une lecture à deux voix : celle du lecteur et la voix étouffée de celui qui a écrit. Cette analyse ne doit pas nous empêcher l'écriture ouverture, source de désir, de plaisir. Confrontons nous donc "au risque d'écrire" tout en gardant à l'esprit que notre écrit est traversé par notre histoire, que le tout dit n'existe pas et que sa lecture sera toujours soumise à une polysémie interprétative. "Il me semble, je l'avoue, que j'ai écrit bien des choses inutiles", confie Hippolyte dans l'Idiot de Dostoiëvski.

BIBLIOGRAPHIE

DURAS Marguerite "Ecrire"

GILSON Jean-Paul "S'excrire"

LACAN Jacques "Encore" - "Les Ecrits"

SARTRE Jean-Paul "Les Mots"

 

http://psycause.pagesperso-orange.fr/030/030_au_risque_de_l_ecrit.htm


 

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